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Neil et Robert Stephens se rendirent directement au commissariat principal de Newport. « C’est une chance que tu aies obtenu hier cette ordonnance du tribunal, dit Robert à son fils. Ce type s’apprêtait à filer. De cette façon, avec son compte en banque bloqué, nous avons une possibilité de récupérer l’argent de Cora, du moins une partie.
— Mais il n’a aucune idée de ce qui est arrivé à Maggie, dit Neil avec amertume.
— En effet. Tu peux difficilement assister à un mariage à New York à cinq heures, citer les noms de douzaines de personnes susceptibles de témoigner que tu es resté jusqu’à la fin de la cérémonie, et te trouver ici en même temps.
— Il avait beaucoup plus à dire sur son alibi que sur ses opérations en Bourse, dit Neil. Papa, rien dans le bureau de ce type n’indique qu’il s’occupe d’investissements. As-tu vu chez lui le moindre rapport financier, la moindre brochure, ou je ne sais quoi qui ressemble à ce qu’il y a dans mon cabinet ?
— Non, rien de semblable.
— Crois-moi, il ne travaille pas vraiment dans cette cage à lapins. Ces transactions sont exécutées ailleurs. Par des gens qui pratiquent probablement les mêmes escroqueries. » Neil s’arrêta un instant, regardant d’un air maussade par la fenêtre de la voiture. « Quel temps de chien ! »
Il commence à faire froid et il pleut à verse. Où est Maggie ? Est-elle dehors quelque part ? A-t-elle peur ?
Est-elle morte ?
Une fois encore, Neil rejeta cette idée. Elle ne pouvait pas être morte. Il avait l’impression de l’entendre l’appeler à son secours.
Au poste de police, on leur annonça que le commissaire Brower s’était absenté, mais l’inspecteur Haggerty les reçut. « Rien à signaler qui puisse nous être utile, dit-il sans détour, en réponse à leurs questions pressantes concernant Maggie. Personne ne se souvient d’avoir vu le break Volvo en ville la nuit dernière. Nous nous sommes mis en rapport avec les voisins de Mme Holloway. A sept heures du soir, l’heure où ils sont passés devant sa maison en se rendant à un dîner, sa voiture était dans l’allée. Elle ne s’y trouvait plus lorsqu’ils sont rentrés chez eux à neuf heures et demie, nous en concluons donc qu’elle est sortie durant cet intervalle de deux heures et demie.
— C’est tout ce que vous pouvez nous dire ? s’exclama Neil, incrédule. Bon sang, il doit y avoir d’autres indices que ça !
— Je le voudrais bien. Nous savons qu’elle s’est rendue au musée funéraire dans l’après-midi de lundi. Nous lui avons parlé avant qu’elle ne parte et après son retour.
— Au musée funéraire ? s’étonna Neil. Ça ne ressemble pas à Maggie. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien y faire ?
— Selon le Pr Bateman, elle devait l’aider à illustrer la série d’émissions télévisées qu’il prépare », expliqua Haggerty.
Ce fut au tour de Robert Stephens de paraître surpris. « Vous avez dit : selon le Pr Bateman ?
— Oui, c’est ce que j’ai dit. Nous n’avons aucune raison de mettre en doute les paroles du professeur. Il est peut-être un peu excentrique, mais il a grandi ici, tout le monde le connaît, et il n’a jamais causé aucun ennui à personne. » Il hésita. « Je vais être franc avec vous. Mme Holloway a laissé entendre qu’il y avait chez lui quelque chose qui la gênait. Et après vérification, nous avons appris, bien que cela ne concerne en rien la police, qu’il avait provoqué un petit scandale à Latham Manor. Il semblerait qu’on l’ait finalement mis à la porte. »
Encore Latham Manor ! pensa Neil.
« Bateman nous a aussi confié que Maggie savait où était cachée la clé du musée, et qu’il lui avait proposé d’y revenir à son gré avec son appareil.
— Croyez-vous qu’elle y soit revenue la nuit dernière ? Seule ? demanda Neil.
— Je ne le pense pas. Non, en fait, il semble qu’un cambriolage ait eu lieu au musée, hier soir — croyez-le si vous le voulez, un cercueil a disparu. Pour le moment nous interrogeons des gosses du voisinage qui ont déjà causé quelques problèmes. Ce sont probablement les coupables. Et ils peuvent peut-être nous fournir des informations concernant Mme Holloway. Si elle s’est rendue au musée, et qu’ils ont vu sa voiture garée dans le parking, je suis porté à croire qu’ils se sont assurés de son départ avant d’y entrer eux-mêmes. »
Neil se leva. Il devait s’en aller d’ici. Il devait faire quelque chose. Il se rendait bien compte qu’il n’apprendrait rien de plus en restant planté là. Il pouvait retourner à Latham Manor, y découvrir ce qu’il pourrait. Il donnerait pour excuse qu’il voulait parler au directeur de l’inscription des Van Hilleary.
« Je reprendrai contact avec vous plus tard, dit-il à Haggerty. J’ai l’intention d’aller à Latham Manor, voir si je peux m’entretenir avec certaines personnes. Qui sait, quelqu’un détient peut-être une information qui pourrait être utile. Et j’ai une bonne excuse pour justifier ma visite. Je suis passé vendredi à la résidence, afin de me renseigner pour le compte d’un couple de mes clients. Je dirai que j’ai besoin de quelques renseignements supplémentaires. »
Haggerty haussa les sourcils. « Vous allez apprendre que nous nous y sommes rendus nous- mêmes très récemment.
— Pourquoi ? demanda vivement Robert Stephens.
— Nous avons eu un entretien avec le directeur et une des infirmières, Zelda Markey, qui semble très liée avec le Pr Bateman. Je ne puis en dire plus.
— Papa, quel est le numéro du téléphone de ta voiture ? « demanda Neil.
Robert Stephens sortit une de ses cartes de visite et griffonna un numéro au dos.
Neil tendit la carte à Haggerty. « S’il y a du nouveau, essayez de nous joindre à ce numéro. De notre côté, nous vous appellerons toutes les heures.
— Entendu. Mme Holloway est une de vos proches amies, n’est-ce pas ?
— Plus que ça, fit Robert Stephens. Considérez qu’elle fait partie de la famille.
— Très bien, dit Haggerty simplement. Je comprends. « Il regarda Neil. « Si ma femme avait disparu, je serais dans le même état que vous. J’ai rencontré Mme Holloway. Elle est très intelligente et n’est visiblement pas le genre de femme à se laisser abattre. Si elle a un moyen de se sortir d’affaire, faites-lui confiance, elle le trouvera. »
Touché par la compassion sincère d’Haggerty, Neil prit soudain conscience qu’il risquait de perdre la personne sans laquelle il n’envisageait pas de vivre. Il avala péniblement la boule qui s’était formée dans sa gorge. Incapable de prononcer un mot, il fit un signe de tête et sortit.
Dans la voiture, il dit : « Papa, pourquoi ai-je l’impression que Latham Manor est au centre de toute cette affaire ? »